Václav Havel

Message vidéo adressé à loccasion du centenaire dEmmanuel Levinas

Enregistré à son bureau rue Voršilská, le 28 décembre 2005

Diffusé le 15 janvier 2006 à Jérusalem


Chers amis, Permettez-moi d’évoquer le centième anniversaire d’Emmanuel Levinas au travers d’une anecdote personnelle, très importante pour moi. Il y a des années, lorsque je me trouvais en prison, mon frère avait copié pour moi quelques extraits des Essais d’Emmanuel Levinas et les avait adroitement incorporés dans la lettre familiale que j’étais autorisé à recevoir. Or, je fus très sensible à ses réflexions, du fait qu’elles me parvenaient dans un milieu si peu spirituel, voire anti-spirituel où, prisonnier des quatre murs de ma cellule, je ressentais un besoin urgent de méditer sur moi-même, sur le sens de mes actes, sur mes rapports à autrui. Les extraits recopiés parlaient justement de tout cela. Il s’agissait de réflexions sur  le thème du rapport entre le Je et l’Autre, sur la responsabilité envers le monde qui nous échoît avant même que l’on fasse le choix de l’assumer. Je me souviens du célèbre passage dans lequel Levinas se pose la question de savoir si la mort est vraiment un passage de l’existence vers la non existence, de l’être vers le néant. J’ai longuement médité sur tout cela et, dans mes lettres de prison, j’ai essayé de commenter les idées de Levinas. Je revenais sans cesse à cette idée qui, si j’ai bien compris, est présente et exprimée dans son œuvre, à savoir que ce qui s’est passé ne peut plus être effacé, ce qui a été, malgré l’oubli général, s’est quand même inscrit dans la mémoire de l’existence et demeure sauvegardé à jamais. J’estime que l’œuvre du grand philosophe Emmanuel Levinas reste elle aussi gravée dans la mémoire de l’existence, fait partie du penser humain sur le monde, de la destinée de l’homme, de l’univers, de l’être. Je vous remercie de votre attention.